Aurélie Gaillot : Suis honorée pour cette première de recevoir Thomas Galley, écrivain, chroniqueur et directeur d’ouvrage.
Merci Thomas d’accepter l’invitation et le deal – qui consiste à répondre à des questions un peu au tout venant, comme il me plait 🙂
Comment vas-tu, Thomas ?
Thomas Galley : S’il y a honneur, chère Aurélie, c’est celui d’être choisi pour inaugurer ton blog. Tu vois, je ne suis pas homme politique pour rien, hein 😉 Quant à ta question, je vais bien, merci, même si l’approche de l’hiver me tape sur les nerfs. D’un autre côté, c’est en m’enfermant chez moi, avec une bougie et des biscuits, que j’arriverai sans doute à terminer tous ces projets dont certains traînent depuis bien trop longtemps.
AG : A propos de ton statut d’homme politique… Quelles sont tes fonctions, globalement ?
TG : Je siège au conseil municipal de ma ville (100.000 habitants, mine de rien), pour le PS d’ailleurs, et je préside le comité des pétitions. C’est cette dernière fonction surtout qui me permet de garder le contact avec les gens et d’avoir une idée des problèmes qu’ils auxquels ils sont confrontés.
AG : Tous ces projets.… Sont-ce tous des projets liés à l’écriture ?
TG : Euh – en grande partie, oui. Il y a le roman à terminer, la relecture de celui-ci, le Noël des Dix, la relance d’Edicool dans laquelle je viens de m’engager, un projet de roman historique à revoir. Et puis il y a bien sûr le blog, mais là, cela ne se termine jamais, c’est un truc auquel il faut travailler en permanence. Après, il faut choisir le mode de publication du deuxième roman : classique, sur du papier, avec toutes les démarches que cela nécessite ? En numérique ? En auto-édition, au moins pour ce qui est de la version papier ? Tout ça n’est pas encore très clair même si, pour l’instant, je penche plutôt vers la solution numérique.
Après, il faut songer aux dédicaces, aux séances de lectures, à d’éventuels déplacements, aux rencontres qu’on peut envisager. Par exemple, j’irai sans doute à Bruxelles, en mars, pour la Foire aux livres, l’occasion rêvée pour rencontrer des copains comme Éric Neirynck.
Et puis, il y a d’autres projets aussi, hein ? Je te rappelle qu’on n’est pas loin de Noël et qu’il faut trouver des cadeaux, ranger l’appartement, cuisiner, envoyer des cartes, tout ça:-)
AG : Eric Neirynck, écrivain… Un écorché vif, me semble-t-il parfois ( j’aimerais bien — d’ailleurs — lui poser quelques questions !). Faut-il être sensible Thomas, un chouïa écorché, pour écrire, à ton avis ? Ou du moins, pour écrire « vrai » ?
TG : Non, je ne pense pas qu’on puisse en faire une règle générale. En même temps, je sais par expérience que les blessures peuvent favoriser l’écriture, le début d’une sorte de dialogue avec soi-même qui peut aider à se reprendre en main. À part cela, une blessure, ou disons plutôt une certaine disposition, orientent sans doute le choix du sujet. Mais je ne vois aucune nécessité d’être « écorché » pour attaquer un sujet historique, par exemple, ou un roman d’aventures. Ce n’est pas exclu non plus, évidemment. Mais il me semble que cette idée du poète malheureux, blessé, maltraité par la vie / l’amour / la société / qui que ce soit, c’est quelque chose qui remonte au temps des sensibleries à la Rousseau ou à la Senancour. Que je n’ai jamais aimés, soit dit en passant.
AG : Être écrivain, est-ce être artiste ? On peut imaginer l’écrivain un peu loufoque, un peu mal adapté à la vie terrienne, un peu barré dans son monde… Mais aussi, on aime à le penser empreint d’une certaine profondeur, doté d’un potentiel de réflexion sans fin – sur tout et rien, et d’une largeur d’esprit qui n’a de cesse de s’accroître encore. Qu’en est-il, en ce qui te concerne ?
TG : Oulala, la question qui tue sa race… Franchement, ça ne me dérange pas de réfléchir, pas du tout, mais quand j’écris, je me laisse emporter par les mots, par les actes qui semblent s’imposer aux personnages bien plus qu’imaginaires. Je ne sais pas si je suis artiste ou artisan, et peu m’importe de coller un statut quelconque sur ma personne. Le fait est que j’adore l’écriture, que ce soit la mienne ou celle des autres. Quant à la largeur d’esprit, disons que j’aime découvrir, mais que je n’aime pas toujours les choses que je découvre.
AG : L’homme t’effraie t’il souvent ?
TG : Pas au quotidien, non, mais quand je lis le journal, il y a des trucs tellement dégueulasses que je me demande parfois si on ne devrait pas disparaître au profit des cylons … Pour ne rien dire des atrocités qu’on rencontre en se plongeant dans l’Histoire. S’il y a une chose que celle-ci nous apprend vraiment, c’est que l’homme est capable de tout, absolument tout. Mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil, n’est-ce pas ? Après tout le célèbre homo homini lupus ne date pas d’hier.
AG : Tu fais partie des adeptes de la lecture en numérique — quand d’autres se cramponnent encore à leurs livres de papier, en jurant que jamais.… Thomas, envie de les convaincre, de les séduire, par quelques arguments pesés ?
TG : Non, aucune envie de convaincre qui que ce soit. Tu sais, même en politique, je n’aime pas le prosélytisme. J’ai mes convictions, j’y tiens, j’essaie de me montrer à la hauteur. Si d’autres décident de profiter de mes expériences, tant mieux. Pour ce qui est de la lecture en numérique, il y a aujourd’hui des éditeurs qui refusent de publier sur papier. Et si les textes finissent par s’imposer, grâce à leur qualité, les jeux seront faits. Et il y a de très bons textes que j’ai pu découvrir chez les éditeurs pure player, comme La pile du pont, d’Audrey Betsch ou Lisa, de Jeff Balek, tous les deux chez Numériklivres.
AG : Je t’imagine ne te préoccupant pas de certaines obligations banales du quotidien… J’aime cependant à penser que tu as au moins une recette fétiche et que tu fais ponctuellement la cuisine pour ta famille, pour tes amis.… J’espère que tu ne vas pas répondre que non et casser mon rêve ! Et puisque oui (!), j’adorerais que tu me livres la recette du plat en question (en évitant d’aller piquer une recette au hasard sur Marmiton.com ! ).
TG : Si, si, le ménage, ça me connaît… Après la naissance de notre fille aînée, c’est moi qui suis resté à la maison pendant 18 mois pour m’occuper d’elle et du ménage. Mais j’avoue que la vaisselle, le ballet de la serpillière ou encore le repassage, ça ne me passionne pas, hein ?! La cuisine, par contre, c’est un de mes dadas. Difficile pourtant de te donner une recette fétiche – il y en a tant. Tiens, tu aimes la cuisine indienne ? Miam 😉
Je vais te donner la recette d’un bon petit plat indien qu’on sait faire avec un minimum d’efforts.
- Viande hachée aux petits pois (Keema Matar)
- 2 pommes de terre
- 3 oignons de moyenne taille
- 3 gousses d’ail
- 2 piments rouge
- un bout de gingembre (3 cm)
- 500 gr de viande hachée (agneau ou bœuf)
- 1 cuiller à thé de cumin
- 1 cuiller à thé de paprika
- une demie cuiller à thé de poudre de chili
- 1 cuiller à thé de curcuma
- du sel
- 2 cuiller à thé de concentré de tomates
- 100 gr de petits pois
Peler les pommes de terre et les couper en dés. Couper les oignons et l’ail. Couper les piments en minces lamelles (enlever les noyaux pour moins de piquant). Peler le morceau de gingembre et le râper.
Chauffer l’huile (de tournesol) dans une poêle, y faire dorer les oignons, ajouter l’ail et le gingembre, touiller pendant une minute. Ajouter la viande, les lamelles de chili et les condiments. Laisser dorer pendant cinq minutes. Ajouter 200 ml d’eau, le sel, les pommes de terre, le concentré de tomate et les petits pois. Porter à ébullition. Couvrir et laisser mijoter à feu doux pendant une demie heure. Déguster avec du riz basmati. Accompagner d’un vin rouge aux arômes forts, terreux.
AG : Ça semble délicieux et en plus, relativement équilibré… 😉 Manque quelques naan au fromage; j’ai une recette si tu veux 😉
Écrire, écrire, Thomas… C’est fou comme ceux qui n’écrivent pas – mais qui rêvent souvent de le faire – imaginent toutes sortes de choses quant à la vie des écrivains… Des rituels, des besoins particuliers… Un chat qui ronronne sur un coin de bureau, un feu qui crépite dans la cheminée, la théière emplie d’un thé chaud et odorant à portée de main, des horaires d’écriture bien précises et quelques autres petites manies. Existe-t’il un protocole, en ce qui te concerne ?
TG : Désolé, il n’y a aucun protocole. Tout d’abord, il n’y a pas de chat, ni de feu de cheminée, ni la moindre régularité. J’écris quand je dispose d’un peu de temps libre, ce qui n’est pas évident. Après, peu importe le décor. Soit je m’installe devant mon bureau tellement encombré de paperasse qu’on a du mal à trouver de la place pour le clavier, soit je vais au salon avec mon netbook, soit je vais dehors, dans un bar, dans un musée, n’importe où pourvu qu’il fasse chaud. Tiens, il y a un endroit que j’aime mieux que les autres, ce sont les escaliers du Musée des Arts Appliqués de Cologne. C’est un espace très vaste, ouvert, qu’on domine depuis un fauteuil en cuir placé tout en haut des escaliers.
AG : À propos de musée… Je sais que tu es très attentif à la préservation du patrimoine…
Oui. Il y a plusieurs aspects à cela. Tout d’abord, il faut préserver les témoignages du passé, tout simplement pour savoir d’où l’on vient, quel est le socle sur lequel nous nous sommes élevés. C’est la valeur historique et didactique, si tu veux, inhérente à tout objet légué par le passé. Et quand on pense à quel point des tessons retirés de la boue de l’ancien port fluvial de Cologne peuvent faire avancer nos connaissances, on comprend l’intérêt à préserver ces témoignages. Puis, il y a une valeur qu’on a souvent du mal à qualifier, le côté esthétique de la chose. Il y a des objets qui sont estimés à une plus grande valeur que d’autres (pas seulement esthétique, marchande aussi). Le problème est que cette appréciation est sujette à la mode et peut évoluer à travers les siècles. Un exemple : les toiles et les fresques de Botticelli passent, aujourd’hui, pour des merveilles de l’Art renaissant. Mais pendant assez longtemps, celles-ci étaient tombées dans l’oubli. Le « culte » moderne, si je peux dire, date du XIXe siècle, et plus particulièrement des Préraphaélites. Donc, si on ne voulait conserver que ce qui répond au canon, on serait mal parti.
L’autre aspect est celui de l’accessibilité. De plus en plus d’œuvres d’art disparaissent dans les palais des nouveaux-riches ou les trésors des banques, et le public dépend des reproductions souvent de piètre qualité. Pour ne rien dire des nombreuses œuvres portés disparus qui, en vérité, sommeillent quelque part, chez des particuliers. Mais même les œuvres conservés dans les musées ne sont toujours faciles d’accès, ne fût-ce qu’à cause des distances. Après tout, rares sont ceux qui ont le temps et les moyens de parcourir le monde pour se régaler d’un tableau. L’internet serait capable de remédier à une telle situation, en mettant de bonnes reproductions à la portée de tous, et il y a déjà quelques beaux projets, comme le Yorck-Project, p. ex. Mais il y a de nombreux obstacles là encore, comme les musées qui n’admettent pas qu’on fasse des photos de leurs œuvres, notamment quand il s’agit d’expositions. Pour ne rien dire des collections mal répertoriées, un phénomène qui touche particulièrement les dessins, mal aimés du grand public.
AG : Il y aurait encore tant de choses à dire là-dessus, et tu vois que c’est un sujet qui me passionne. Soyons bref : il faut sauver le patrimoine.
Je t’imagine ( cette imagination, alors !…) pédalant tranquille dans les chemins de campagne, en famille. Il semble effectivement que quantité d’écrivains ressentent le besoin d’une activité plein air avant de se mettre à l’ouvrage, avant de créer… Une façon de se connecter parfaitement en leur centre, de se brancher avec leur intérieur… ou quelque chose de cette ordre là…
Question sport, question nature, tu te situes où ?
TG : Heu … Je sais que tu es coach sportif, je suis donc un peu gêné par cette question ou plutôt par ma réponse. Tu sais, moi, depuis la sortie du lycée, j’évite le sport, systématiquement. Mais ça ne veut pas dire que je ne me bouge pas du tout les fesses, hein ? Je fais du vélo pour me rendre au bureau (sauf en hiver), et je fais des randonnées, en famille ou avec ma femme. Plus souvent sans les filles depuis qu’elles ont franchi le seuil de l’adolescence. Ceci dit, le but de la randonnée, ce n’est pas la randonnée et encore moins l’effort, mais la bière en fin de parcours accompagnée d’un bon plat – à moins que ce soit l’inverse 🙂
AG : Sourire ! … La bière est à l’Allemagne ce que la frite… Oups, reprenons !
À propos de famille… Pas si facile de concilier famille et écriture… T’arrives-t-il d’étouffer un peu par manque de ton oxygène (l’écriture) ? Quels regards posent les tiens sur ton écriture, sachant que l’écriture, c’est avant tout des espaces temps qui n’appartiennent qu’à soi.
TG : Effectivement, voici deux domaines qu’on a souvent du mal à réconcilier. Surtout parce que ce n’est pas l’écriture qui me permet de vivre. Parfois, il faut renoncer à participer aux activités des autres, comme l’autre jour où je n’ai pas pu me rendre à un concert des filles. J’essaie de réduire cela au minimum, mais pas toujours facile de trouver des arrangements. D’un autre côté, cela m’arrive effectivement de me dire que je pourrais terminer un récit, mettre au point une scène, écrire un scénario, au lieu de passer mon temps en conseil de classe avec tous ces autres parents qui ne me disent rien du tout. J’essaie de profiter de ces occasions en réfléchissant, en m’absorbant dans les univers artificiels que j’invente, en résolvant un problème de l’intrigue, et il s’avère que la distance peut être très utile aussi. Grosso modo, je dirais que l’écriture profite à tout le monde, parce que je suis plus content, et je fais de nouvelles connaissances enrichissantes. Le tout est de trouver et de garder un certain équilibre.
AG : Écrire, écrire… D’où ça part, chez toi, l’écriture ? D’abord, est-ce un besoin, une envie ? Et ensuite, à quel endroit ça démarre tout ça, quand ça commence à démanger ? Du cœur, du creux du plexus (d’ailleurs ?!) ou est-ce purement intellectuel ? ou le tout à la fois ?
Dis donc, toi, d’où est-ce que tu sors ce genre de questions ? Je dirais que c’est un – plaisir. Certainement plus qu’une envie, sans doute moins qu’un besoin. Je pourrais vivre sans écrire, m’éclater même, mais ce serait une vie moins riche.
Finalement, à force de réfléchir, je dirais que ça me vient principalement du ventre. Une phrase bien tournée, le mot juste, des mots qui me font vibrer, ça rayonne au milieu du corps.
AG : Qu’est-ce qui te remplit de bonheur, Thomas ? Des rêves, ou certains moments de ta réalité ?
TG : Les souvenirs. Il y a dans la vie, évidemment, des instants extraordinaires vécus au gré des rencontres faites, le plus souvent, sans le moindre préavis. Et ces instants-là ont la capacité de pousser des racines, de se prolonger vers l’avenir, de me tenir compagnie pendant que je parcours cette route dont je sais bien qu’elle a une fin mais dont j’ignore les vues, les hasards, les accidents. Et dans la plupart des cas, ce sont des rencontres qui se trouvent au fond de ces instants éternalisés. On pourrait donc dire que c’est l’humain qui me rend heureux. Et qui peut m’agacer aussi.
AG : Des regrets, Thomas ?
TG : Parfois, oui, quand même. Pourquoi je ne suis pas resté en France, après l’année passée en Bretagne ? Pourquoi avoir renoncé à ce boulot en Aquitaine ? Pourquoi avoir manqué de courage ? Tant de choses, tant de décisions, et parfois il y a comme un doute : Est-ce que j’ai choisi la bonne voie ? Mais finalement, c’est la somme de ces décisions qui a contribué à me façonner, qui m’a amené là où je suis, et si je ne veux pas finir par croupir, mécontent endurci, dans mon coin, je dois assumer. Et s’il y a vraiment des instants où ça ne va pas, où les infinies possibilités du passé prennent le dessus, il y a toujours l’écriture pour venir à bout de ces démons-là.
AG : Un truc qui m’intrigue quand même, quand je te lis. Tu es allemand.. Tu maîtrises parfaitement la langue française, tu l’utilises avec une aisance que certains de tes compatriotes doivent t’envier… (que je t’envie ). Comment fais-tu ça ?
TG : Bon, je viens d’effacer un paragraphe entier où je te débitais l’historique de mes acquis linguistiques. Mais ce ne sont que des détails. L’important, c’est que, quand je manie la langue de Molière, je suis chez moi. C’est comme un retour au foyer après une longue absence, une certaine chaleur, un monde qui se révèle avec ses trésors innombrables, une descente vers des souvenirs qui viennent de plus loin que moi. Voilà.
AG : Je me demandais si ce choix de langue n’était pas aussi une façon de te préserver une sorte de jardin secret… à la française …
TG : Je ne sais pas si on peut appeler ça un jardin secret, parce que ses portes sont quand même grandes ouvertes. Mais un coin à part, ça oui. Un coin hors du quotidien, où je peux vivre une passion dont je mesure l’ampleur seulement depuis que j’ai enfin osé la regarder en face. Ce qui me ramène à l’autre question, celle des regrets. En voici peut-être un, ne pas avoir assumé, osé plus tôt. Avoir choisi la voie tracée, la sécurité. Mais bon, là encore, c’est sans doute ce que je suis.
AG : Et l’amour, Thomas… C’est quoi l’amour ?
Tu dois me dire où on peut s’abonner à ce genre de questions 🙂
AG : Euh.. Chez bibi !
TG : Je ne sais pas. À l’origine, une réaction chimique ? Des neurones qui poussent dans un sens plutôt que dans un autre parce que le souvenir d’une première rencontre inonde le cerveau d’un cocktail à la composition qu’il faut ? Ensuite, des idées, des rêves qu’on croit pouvoir vivre avec une certaine personne ? Une inflexion de la voix qui s’incruste dans nos oreilles ? Un certain goût de la salive de l’autre, de sa cyprine, qui déclenche quelque chose ? Le hasard qui fait que je me trouve plus réceptif à un moment donné du jour (ou de la nuit). Ou encore la volonté de lier ma vie à celle d’un autre ? La volonté de faire durer cette relation et de la vivre, envers toutes les trahisons, toutes les tentations, jusqu’à la fin du parcours ? Ou encore une folie ? Une sorte de délire à la Roméo et Juliette qui fait tout éclater, rompt tous les liens ou plutôt les remplace par un seul ? Petite remarque : C’est dans ce contexte-ci que je pense à l’amour du divin aussi dont la force conduit des hommes et des femmes à s’enfermer derrière des murs, qu’ils soient réels comme ceux du cloître ou invisibles comme ceux qui les tiennent à l’écart du commun des mortels dans une dévotion incompréhensible.
AG : Ton premier roman, L’aventure de Nathalie … Un travail d’orfèvre, ai-je envie de dire. Mots choisis, mots précis, mots dits jusqu’à l’infini détail. Tu choisis d’avertir le lecteur… Un livre qui pourrait déranger parce qu’il parle d’un élan amoureux (suis-je juste en parlant d’élan amoureux ?) mais aussi de sensualité et de sexualité … Crois-tu qu’il faille prévenir les lecteurs ? Après tout, quand on ouvre un livre, on sait que l’on s’aventure en contrée inconnue… Parle-moi de ton livre, Thomas; parle-moi de L’aventure de Nathalie, de ton regard sur cette aventure d’écriture là…
TG : Tout d’abord, c’est mon éditeur qui a exigé que j’y mette un avertissement. J’ai d’abord été réticent, mais comme il ne voulait pas toucher au texte, je me suis dit que, finalement, cela ne dérangeait pas, et que cela n’empêcherait personne de s’y aventurer. Bien au contraire, on sait l’attrait fatal des portes interdites 😉 Après, j’ai du mal à comprendre pourquoi la violence, les assassinats, les cruautés genre Silence des Agneaux, ça passe sans problème, tandis qu’il faut présenter ses excuses quand on parle d’amour qui passe à l’acte. Les ados auraient le droit de regarder des films où des enfants s’entre-tuent, mais il ne faut surtout pas montrer des bouts de sein ? Vas comprendre !
Ensuite, pour ce qui est de ma Nathalie, oui, il y a un élan amoureux au fond de cette aventure, l’échappée vers une liberté impossible, la douleur de la violence faite aux proches, l’étincelle admirée au fond de la nuit, incarnée dans les bougies de Notre-Dame, l’espoir après s’être cassé la figure contre le mur au fond du cul-de-sac. Au départ, c’était des esquisses érotiques, couchées et enfermées dans un fichier perdu au fond de mon disque dur. Ensuite, il y a eu la volonté de créer ou plutôt de raconter une histoire. De parler des choses que j’aime, de la peinture, de la magie des lieux sacrés où grouillent les souvenirs entassés là depuis des siècles. Et j’ai eu la surprise de voir que tout cela, tous ces éléments disparates, c’étaient les morceaux d’un puzzle qu’il fallait ramasser et mettre dans l’ordre. Et puis, une fois en route, est venue s’y rajouter une histoire plus ancienne, montée de très loin, une écharde entrée bien avant dans la peau cicatrisée.
AG : J’admire ta capacité de travail … Hormis ton travail d’écriture (un autre roman en préparation il me semble… Peux-tu nous en livrer quelques bribes ?), tes chroniques sur la Bauge littéraire, ta participation à différents recueils de nouvelles (n’hésite pas à préciser un peu tout ça…), quand trouves-tu le temps de ne pas écrire ?
TG : Pas de souci, mon patron s’en charge, de me trouver le temps de ne pas écrire. J’emporte des livres (et, plus récemment, ma liseuse) un peu partout, dans les transports publics, les magasins, les musées, je grignote sur les heures de sommeil dont il ne me faut plus que cinq ou six, je passe mes pauses à faire des recherches en ligne, à corriger des textes, à rédiger des exposés ou des mails. Mais tu as raison, à voir mes activités ainsi énumérées et répertoriées, je me demande comment j’arrive à gérer le peu de temps disponible.
Tu fais allusion à un deuxième roman. Oui, celui-ci existe bien, et j’en suis aux deux-tiers à peu près. C’est-à-dire, du premier jet. Une fois terminée cette première rédaction, le plus gros du travail reste à faire. Mais il porte déjà un titre, ce qui n’est pas évident, vu que j’ai du mal à en trouver qui collent une bonne étiquette sur les centaines de pages et les intrigues souvent très complexes d’un roman. Mais bon, cette fois-ci, c’était facile. Il s’appellera Les délices de Marie. Et oui, ce sera encore une fois un roman érotique. Et comme pour Nathalie, je suis parti de quelques scènes, de quelques illustrations, si on peut dire, et puis, au fur et à mesure des chapitres, l’intrigue a gagné en complexité, en profondeur, et a finalement réussi à réunir sous ses bannières les clichés initiales, si l’on peut dire. Je t’entends réclamer un petit extrait ? Pourquoi pas ?
AG : Rire ! Oui, s’il te plaît !
“Marie était de bonne humeur. De très bonne humeur même, à en juger d’après le sourire rayonnant qu’elle arborait. Elle lança son sac sur le canapé, alluma sa chaîne, et se mit sans tarder à réaliser son petit projet en vue de convenablement préparer la soirée. En moins de deux, ses vêtements rejoignirent la pile de ceux qui attendaient le passage à la machine à laver, et elle se pencha sur sa baignoire pour faire couler l’eau. Le froid de l’émail sur ses cuisses et son ventre la fit frissonner. En attendant que son bain fût prêt, elle s’amusait à prendre des poses devant son grand miroir. Elle se lança à elle-même des regards coquins qui parcouraient la belle silhouette occupée à se produire en face d’elle, souleva ses seins pour mieux s’exhiber à sa convoitise, essaya même de toucher ses tétons du bout de sa langue. Elle rigola comme une petite fille enthousiasmée et charmée par les splendeurs que lui renvoyait la glace : Le ventre lisse avec au milieu l’ombre du nombril qu’elle avait très profond ; les hanches larges ; les jambes sveltes et longues, à la peau dorée par le soleil des plages du Languedoc ; et, au milieu de cette chair insolente de beauté, la bande foncée qui cachait à peine son sexe. Marie adorait son ticket de métro, adorait cette nudité caressée par l’étoffe soyeuse de sa lingerie, par les doigts ou mieux encore les langues en quête de délices des amants occasionnels. Encore heureux que la dernière visite chez son esthéticienne datait du début de la semaine ! Elle rougit quand elle se rendit compte de ce qu’elle était en train d’imaginer.” © Thomas Galley
TG : À côté de ces textes assez longs que sont ma Nathalie et ma petite Marie, il y a des textes très courts que je publie avec mes amis d’Edicool, Paul Leroy-Beaulieu et Vincent Bernard. Ce dernier a concocté le concept des Dix, c’est-à-dire dix auteurs, dix textes à 1.000 mots autour d’un sujet donné. J’aime cet exercice qui consiste à retrancher tout ce qui est superflu, à trouver LE mot qu’il faut, la tournure de phrase qui emporte le lecteur. J’ai trouvé que c’est un défi très dur et qu’il est bien plus facile d’inonder des pages et des pages sous une marée de paroles que d’endiguer celle-ci et de faire éclore une fleur au milieu du désert.
AG : Littérature érotique… Tu aimes la lire et l’écrire. Peux-tu dire que c’est ta préférence à toi ?
TG : Avant d’entamer Nathalie, il y a eu un projet de roman historique. Je me suis documenté, je me suis même inscrit à la bibliothèque universitaire pour avoir accès aux ouvrages des historiens, j’ai dressé les tableaux des années avec les événements que les personnages auraient à vivre. Rien d’érotique là-dedans. Mais ce projet, je n’ai jamais su le mener à bien. Donc, il me faut peut-être une certaine forme de littérature pour trouver le courage d’aller jusqu’au bout. Et puis, j’ai trouvé que c’est un réel plaisir que de peindre les scènes érotiques, de dire l’émoi des personnages, le désir grandissant, l’éveil des sens, le rapprochement, les regards et les peaux qui s’enflamment, les anatomies qui se découvrent, les incursions qui se préparent, le jeu des dominations, des échanges, l’envie et le besoin de donner du plaisir, de le recevoir aussi, la nécessité de se perdre, ne fût-ce que pendant quelques instants, dans le corps d’une femme, au plus profond de celui-ci. Oui, à relire ces mots, je pense bien que c’est l’écriture érotique qui me convient, qui fait que je puisse vraiment m’exprimer.
AG : J’aimerais que tu nous conseilles quelques lectures, Thomas. De tes livres fétiches à ceux qui te touchent, en passant par des textes qui sont pour toi de l’ordre de la distraction, mais que tu aimes à lire, voir relire.
TG : À l’origine, il y eut – Stendhal. Le Rouge et le Noir, c’est mon premier livre sérieux, lu en dehors des lectures imposées par le lycée. Après, c’était Balzac avec son cortège interminable, mais surtout ses Splendeurs et Misères des courtisanes, Maupassant ensuite, avec sa peinture de la vie française, d’un côté, et le délire du Horla de l’autre. Puis, ce fut la découverte de Barbey d’Aurevilly qui a montré à quel point la religion peut faire vivre des romans comme Une vieille Maîtresse ou le Prêtre Marié. Sur un autre registre, mais tout aussi important, c’est l’univers de l’angoisse qu’a créé Lovecraft, dont il a donné le meilleur échantillon avec ce roman extraordinaire qu’est At the Mountains of Madness. Ensuite, une lecture qui ne m’a jamais lâché depuis les premières pages : The Lord of the Rings, livre qui donne un aperçu de l’univers extraordinairement riche et complexe de Tolkien. Puis, plus tard, la découverte des romans et des contes qui composent la Future History, d’Isaac Asimov, avec sa quête des origines et du destin de l’homme. Et puis, pour terminer cette liste qui risquerait d’être bien longue si je ne me retenais pas, le cycle de romans le plus triste que j’aie jamais lu, The Hyperion Novels, par Dan Simmons. Tu vois, j’adore la diversité.
AG : Si tu étais un film ?
TG : Le Septième Sceau, de Bergman. Rien d’aussi grandiose que la scène de l’orage qui passe au-dessus de la forêt que parcourent le chevalier et sa petite troupe, et l’instant éternel quand celui-ci regarde le ciel et reconnaît la Mort qui l’attendra au château.
AG : Et si tu étais une femme ?
TG : Nathalie.
AG : Je te remercie de m’avoir offert un peu d’un temps qui t’es précieux j’imagine (et oui tu vois, j’imagine encore !) … Et maintenant, que vas-tu donc faire ?
TG : Tout d’abord, continuer à bosser. Ensuite, essayer de motiver les auteurs du recueil que je dirige actuellement 🙂
AG : Rire !… Un peu de pub pour ce recueil et ses auteurs ?
TG : Mais volontiers !
Le Dix font le Sapin :
Les nuits de plus en plus longues, les températures de plus en plus basses, et une météo prohibitive – vous l’aurez deviné, nous sommes en route vers l’hiver, et il n’y a plus beaucoup de chemin à faire. Mais au cœur de la nuit se dresse fièrement le sapin, plein de sève, aux boules luisantes, qui appelle les gens à se rassembler pour profiter de quelques belles histoires qui aident à faire passer les longues heures de la nuit. Et c’est nous qui allons les leur raconter, ces histoires. Et elles seront – chaudes !
Racontons les rencontres de fin d’année, les déballages intempestifs, les amours d’une nuit finalement pas si sainte que ça, les cadeaux sur lesquels on ne compte plus mais qu’on attend toujours. Pour le reste, inventez, surprenez, soyez libres, soyez fous, soyez … auteurs 😉
TG : On l’aura deviné, avec un tel recueil, ce n’est pas seulement le pain qui sera épicé. Je suis très fier d’avoir rassemblé dix auteurs qui manient une plume qui chatouille, qui excite, qui gratte (AG : appartée : la troisième, si j’ai bien compris 😉 ) et qui griffe. C’est un réel plaisir de se trouver à la base d’un tel effort, d’assister au déclenchement de tant de créativité, de donner au public l’occasion de rencontrer de nouveaux talents.
La couverture est d’ailleurs réalisée par une jeune illustratrice en train de se tailler une très bonne réputation, à savoir Jahyra. Si tu veux proposer un petit circuit-découverte à tes lecteurs, voici un lien vers sa page Facebook.
AG : Touchante interview, Thomas.… Merci beaucoup 🙂
Vous pouvez lire et relire dès maintenant : Historietas — Les yeux de Fatalitas
Et c’est avec : Thomas Galley bien entendu, mais aussi : Hervé Fuchs — Jean-Basile Boutak — Rachid Santaki — Eric Neirynck — Jean-Louis Michel — Florence Döring — Sylvain Kornowski — Chris Simon — Vincent Bernard
A lire aussi, pour “presque” tout savoir sur Thomas Galley : La super biographie de Thomas GALLEY.