UNE HISTOIRE A TENIR DEBOUT
Et vous, que feriez-vous ?
Lire, c’est gagner sa liberté. Celle de vivre en homme libre. Lire, c’est vivre ! (Rémy Salvat)
Rencontrer Régine Salvat, docteur en biologie médicale et romancière, c’est rencontrer l’évidence de ne jamais oublier ce petit bout de femme qui passe du rire aux larmes avec une intensité qui fleure bon l’authenticité. Évidemment, la présence de son fils Rémy s’impose presque constamment, comme pour rappeler encore qu’il faut « tenir debout », jusqu’au bout, malgré tout.
C’est dans son premier texte Une histoire à tenir debout paru en 2011 aux Éditions Jean-Claude Lattes que Régine Salvat raconte le combat de son enfant. Rémy Salvat, ce garçon courageux, empathique et généreux qui aimait tant les livres et qui, avant de partir, avait demandé à sa maman d’écrire son histoire. C’est d’ailleurs peut-être ce livre, cet acharnement à le faire exister — en promesse à Rémy‑, mais aussi finalement l’écriture, comme un médicament délivré par le fils aimé lui-même, qui ont aidé Régine Salvat à tenir debout, malgré tout.
Mais ce livre, ce bouleversant témoignage, est surtout la nécessité poignante de tout faire pour que le débat sur l’euthanasie ne soit pas jeté à l’eau; c’était la volonté de Rémy, qui s’est suicidé à l’aube de ses 24 ans, dans la nuit du 9 au 10 Août 2008, alors invalide à plus de 80%.
Rémy s’est suicidé, seul, très seul face à la mort, parce que sa demande de mort médicalement assistée avait été refusée.
Et vous, que feriez-vous ?
Régine Salvat, bienvenue !
Ton livre est une histoire de vie bouleversante puisqu’il relate le parcours de ton enfant, Rémy et ton combat de maman à ses côtés. Une maman malmenée, accusée un moment d’avoir assassiné son fils.
Rémy était atteint d’une maladie génétique rare ; une maladie dégénérative qui — pour simplifier — lèse de manière irréversible le cœur de la cellule, avec pour conséquence à terme la paralysie totale et la destruction du cerveau.
Durant des années, Rémy a espéré qu’un traitement soit mis au point, qu’il soit sauvé, enfin dégagé du poids d’une échéance désespérante. Il a croqué la vie, passionné, tourné vers les autres, cherchant des réponses pour affronter ce chemin singulier ou chaque moment devait être vécu « pleinement et autrement ». Mais devant l’avancée de son mal, comprenant la longue agonie qu’il risquait de subir, Rémy a choisi de se donner la mort.
Il aurait souhaité une mort médicalement assistée et l’évolution de la loi pour un droit à l’euthanasie mais ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées.
Chacun se souvient de la lettre que Rémy avait adressée en au président de la République d’alors.
Lettre au Président de la République
Par Rémy Salvat
Samedi, 24 Mai 2008Monsieur le Président,
Je sais qu’un jour, je vais perdre mes moyens.
Je ne pourrai plus marcher mais aussi plus utiliser mes bras et mes mains. Ma mémoire sera aussi tombée et je ne sais pas si je pourrai encore lire…
Mais mon cœur et mes poumons tiendront le coup. On pourra me maintenir en vie pendant des années en me fournissant par exemple une sonde.
Je ne veux pas rester comme ça, je ne veux pas que l’on m’oblige à vivre en m’abandonnant à mon corps si j’en suis prisonnier. Comme Vincent Imbert, je demande à ce moment qu’on me permette de mourir pour me libérer de mes souffrances.
Je sais qu’en France, il n’y a pas de loi qui permette aux équipes médiales de pratiquer l’euthanasie. Ça m’empêche de vivre en paix…
Alors, j’ai demandé à ma mère d’avoir le courage de m’aider à partir quand je serai trop malade. Mais je sais que je lui demande quelque chose de terrible pour une maman. Il faut que la loi change !
Le problème est que vous, Monsieur Nicolas Sarkozy, vous ne voulez pas en entendre parler. Moi, Rémy Salvat, je vous demande laisser de coté votre avis personnel et d’arrêter d’être sourd. Vous le pouvez, si vous êtes Président de tous les français.
Rémy Salvat
PS: à mon insistance, mes parents vont écrire ceci : Monsieur le Président, je vous demande d’avoir du courage. Vraiment. Et de ne pas être sourd, de pas vous laisser influencer par ceux qui ne sont pas directement concernés. Contactez-nous, nous les malades !! Merci d’avance.
Aurélie Gaillot : Régine Salvat, depuis la mort de Rémy, la France a‑t-elle avancé dans le grand débat sur l’euthanasie ?
Régine Salvat : Malheureusement, non ! C’est terrible à dire, absolument rien n’a bougé malgré les drames vécus par des malades et leurs proches. Pourtant, en 2012, un espoir de révision de la loi Leonetti (que personne ne connaît, j’en explique « l’esprit » en fin de récit) existait. Notre pays reste verrouillé par des pressions diverses dont celles du corps médical, alors qu’une majorité des citoyens serait favorable à cette révision. L’appel de Rémy, comme celui de tant d’autres n’aura rien changé : le « sujet » reste tabou et le débat faussé, orienté – à mon avis — d’inadmissible façon. Notre pays se pose en donneur de leçons mais reste verrouillé sur toute évolution sociétale. Triste constat.
Comment comprendre que la parution de « Une histoire à tenir debout » en février 2011 soit restée « confidentielle » (selon les termes d’une journaliste) ? Et que depuis lors, alors que le débat a été repris, l’existence de ce témoignage n’ait pas été évoquée dans la presse ou une émission? Je n’ai pas de simple réponse mais la question reste ouverte, des lecteurs se la posent également.
Régine, comment trouve-t-on le courage d’affronter la feuille blanche et de poser les mots, dans ces conditions ?
Poser les mots s’est imposé, ce n’est pas un acte de courage. Avec la présence de Rémy à mes côtés pour me souffler les siens. Tout du long, j’ai été portée par sa force de caractère, sa pétillance, sa profondeur et son humour. Il aimait tant les contes et légendes — il les savait inspirés de la vie, celle qui cogne mais qui vaut tant la peine — que j’ai pu écrire son histoire comme celle d’un héros, celle d’un enfant exceptionnel qui nous aide à grandir, à traverser les apparences, nous les adultes. C’était le cas, c’est ce qu’a exprimé l’un de ses professeurs en évoquant sa personnalité. Il était aïkidoka, sensible au shintoïsme et au bouddhisme, son histoire nous livre comment chacun de nous peut suivre son chemin et trouver « sa vérité » en tenant bon face aux épreuves. C’est cet esprit qui m’a portée à chaque ligne.
Rémy m’avait demandé d’écrire son histoire, certes singulière, en l’ouvrant à l’universel. Témoigner est une promesse faite de son vivant, je ne pouvais faire autrement. Pas uniquement pour lui mais bien pour et vers les autres, tous ceux que la vie bouscule. Son tempérament était ainsi, apporter réconfort et dénoncer les injustices. Faire évoluer les mentalités, aider à dépasser nos peurs. Permettre de « tenir debout » quoi que la vie nous impose. La savourer parce que, justement, nous sommes mortels… Grâce à lui, les feuilles ne sont pas restées blanches.
Ce témoignage a‑t-il été écrit d’une traite ou a‑t-il fallu beaucoup de pauses, beaucoup de temps pour parvenir à dire ?
A dire vrai, je l’ai écrit sur des années, par fragments. J’avais terminé d’écrire un premier récit qui s’ouvrait sur l’an 2000, pas au-delà, quelques mois avant le décès de notre enfant. C’est une grande partie du livre qui aborde de nombreux thèmes dont celui de la lecture, comment « Lire, c’est gagner sa liberté. Celle de vivre en homme libre. Lire, c’est vivre !» selon les mots de Rémy, à l’âge de huit ans.
Ainsi, le premier jet n’abordait pas le thème de l’euthanasie. A son décès en 2008, un éditeur d’une grande maison d’édition m’a incitée à le reprendre en contant, bien sûr, son geste et son appel vers la présidence. C’était impossible, trop de douleur était présente. Un an plus tard, après avoir réalisé le souhait de notre enfant, celui d’une cérémonie bouddhiste au Japon et d’un pèlerinage sur les pas de Morehei Ueshiba, le senseï fondateur de l’aïkido, j’ai pu reprendre la plume et dire. Il m’a fallu tout revivre mais j’ai écrit portée par ma promesse. Avec des pauses, c’est certain. Et la conviction que Rémy est présent dans l’univers m’a soutenue. Notre enfant ne devait pas « être mort ainsi, si seul, pour rien »…Il voulait offrir un sens à sa vie, je devais offrir un sens à sa mort. Un sens porteur.
Parle-moi de ce livre que sa maîtresse avait offert à Rémy, qu’il aurait aimé savoir lire….
Avec un plaisir immense ! C’est un conte illustré, « L’ARBRE GENEREUX » (Shel Silverstein- Editions Ecole des Loisirs). L’institutrice de maternelle l’a offert à Rémy alors qu’il allait être exclu du système scolaire en fin de maternelle. Ce cadeau merveilleux, la découverte du mot « abnégation » ont joué un rôle essentiel dans la vie future de notre enfant.
Cette douleur, ce combat, la mort de Rémy…. As-tu fini par trouver un sens à tout ça et si oui, quel sens ?
Oh, quelle question difficile !
Lorsqu’on vit des tragédies, je pense qu’on cherche tous un sens à leur donner. Pour parvenir à les « dépasser ». Sinon, c’est insurmontable… J’ai, comme chacun de nous, tenté de trouver un sens. Cherché d’abord une punition des Dieux, puis cherché « je ne sais quoi. »
Mais à ce jour, je ne trouve pas de sens, aucun sens tel qu’on souhaiterait le pouvoir. Si ce n’est de conclure que c’est le mystère même de la vie. La vie est… Elle est miracle, belle et cruelle à la fois. Associée à la maladie et la mort, on l’oublie dans notre société…S’il est un sens à donner au parcours de Rémy, c’est la leçon qu’il nous offre. Celle de saisir chaque jour l’éphémère d’un moment, sa beauté, le cadeau qu’est la vie. Garder Foi en elle. Et de transmettre ce message porteur grâce à ce livre écrit à sa demande ?
Rémy a su trouver un sens à sa maladie, à sa vie. Il a su la rendre riche et c’est ce que nous retenons avec mon mari pour surmonter sa disparition et les circonstances l’entourant. Il est de ces êtres lumineux dont on vit la présence par delà la mort, à nos côtés, en nous. Et je crois que nombre de lecteurs ressentent ce merveilleux. Du moins, c’est ce qu’ils m’expriment dans leurs messages, Rémy est devenu compagnon de leur vie !
Régine, ton second livre vient de sortir. Un roman cette fois-ci ?
C’est un roman, Le mystère de la femme à l’oiseau. Une pure fiction inspirée par la région où nous sommes installés depuis bientôt trois ans. L’Aude est un creuset d’inspiration.
J’ai souhaité offrir aux lecteurs une lecture possible « à plusieurs niveaux » : source d’évasion, de découverte mais aussi de réflexion, une ouverture aux questionnements.
On y suit l’enquête menée par Laurène pour retrouver son amie Blanche disparue, parmi une galerie de personnages hauts en couleurs. Suspens et révélations sont distillés tout du long…
On s’attache aux pas d’une jeune femme qui, au-delà de son enquête, souhaite reconstruire sa vie. Cette vie qui l’a meurtrie dans un récent passé, en quête de réponses « improbables ». Sa recherche la mène à Rennes-les-Bains, un village occitan situé à deux pas de la « montagne inversée », le Puech de Bugarach. Elle y rencontre le vieux Désiré, « le diable des sommets », les amis de Basile, le patron d’un bistrot et Cruella, une romancière de romans noirs. Notre aventurière va devoir affronter des secrets et des crimes. Un assassin rôde mais qui est-il ?
Ce roman est paru ce 21 juin 2013 chez TDO Editions, une maison du Languedoc Roussillon. J’en suis fière car l’équipe a vraiment aimé mon texte. Moi qui suis née en Alsace, j’ai le sentiment d’avoir trouvé les mots pour restituer l’atmosphère de cette région fascinante devenue mienne. En tous les cas, j’ai pris un immense plaisir à l’écrire, sillonnant les lieux à la rencontre des habitants. J’espère offrir le même plaisir aux futurs lecteurs !
Les amoureux de la nature et du terroir vont visiter la Haute Vallée et ce lieu mythique du Puech de Bugarach, avec un œil nouveau sur sa flore et ses sentiers. Au fil des pages, la petite histoire locale est révélée dans mille anecdotes sur fond de l’atmosphère qui a précédé l’annonce de fin du monde. Ambiance unique et riche en surprises !
Régine, parle-nous de tes moments d’écriture…
Moments intenses où je m’isole beaucoup, avec un besoin permanent de contact avec la nature. On peut me trouver au jardin, à m’occuper de massifs de fleurs, pourtant j’écris en moi. Lorsque je suis « en phase d’écriture », j’oublie les tâches du quotidien, j’oublie toute vie sociale. Durant des jours, je peux rester cloîtrée, m’autorisant des temps de pause lors de courtes promenades. Une vie monacale ! J’ai l’air coupée de la vie mais en réalité, je revis ou vis chaque instant décrit, dans la peau des personnages, plongée dans chaque scène. Ainsi, je mène de nombreuses vies ! C’est un plaisir mais aussi une forme de « sacerdoce »avec des doutes, souvent. Et une exigence, je souhaite que ces écrits soient un partage, qu’ils apportent au lecteur.
Et pas question d’un clavier d’ordinateur, je scribouille des pages à la main. Recopie tout « au propre » avant de me résoudre à taper sur un clavier (à un doigt !). Mon mari heureusement est un secrétaire efficace, très présent. Son soutien est sans faille.
Tes projets à court terme, quels sont-ils ?
J’ai ralenti mon activité professionnelle, j’espère terminer cette année un troisième récit, un roman. Un best-seller, bien sûr ! (rire)…Poursuivre la promotion de mes autres livres. Trouver le temps et le plaisir de lire, aussi. Ce qui semble évident — j’aime tant lire — mais devient difficile pour moi en phase d’écriture.
Et savourer le quotidien, de simple façon. En dialoguant avec les poules, comme je me suis surprise à le faire aujourd’hui : c’était d’un comique délicieux.
Ton troisième livre… Ce sera quelle sorte de roman ?
Sourire…On prétend que je suis inclassable dans les « genres et collections ». Hors normes et hors codes de genres littéraires. Avec toujours en moi cette envie d’écrire un récit porteur où la résilience est présente. Il sera singulier, je présume. C’est un sacré défi, j’espère le réussir. Tant de romans paraissent !
Si tu devais dire, définir la vie, en quelques mots, tu dirais quoi ?
Je la chanterais !… Comment la définir ? Elle dépasse l’Homme…La vie est un combat permanent, elle n’est pas faite pour nous offrir le bonheur, c’est à nous de le trouver et d’ainsi ressentir qu’elle est un cadeau précieux…L’exprimer est aisé, y parvenir est aussi un combat, je le reconnais.
Régine Salvat, un grand merci pour ce temps passé ensemble.
Merci à toi Aurélie, d’être venue à ma rencontre et de ta patience avec la grande bavarde que je suis !
Ne pas oublier Rémy, cet enfant incroyablement courageux, sa dignité admirable, son combat. Nous sommes tous concernés.
SOLIDARITE HANDICAP