C’est fou comme cette sublime jeune femme, aux talents littéraires bluffants, à la personnalité craquante, au charme troublant me fait penser à Mulan ; sans doute son sens du raffinement, subtilement agrémenté de ce quelque chose de Rock n’Roll en elle. Une sacré nana.
Je vous emmène à la rencontre d’une belle âme. L’interview est hélas trop courte à mon goût mais après les mois de promotion de son roman « Le beau monde », paru chez Albin Michel, j’ai ressenti que Laure Mi Hyun Croset n’avait besoin plus que d’une chose : pouvoir se renfermer un peu dans son univers.
LMH
Photo by Aurélien Bergot
Chère Laure
Votre prénom Mi Hyun est un délice, autant que votre personnage, d’ailleurs ! Vous suintez l’élégance, le raffinement, mêlés à un soupçon d’impertinence et d’audace qui ne laisse pas indifférent ! De quelle planète arrivez-vous donc ?
LMH : Merci, chère Aurélie. Apparemment de la vôtre (sourire), car vous m’avez très bien cernée. Je suis à la fois perfectionniste et esthète, et en même temps très rock’n’roll. J’aime ce qui est subversif, underground, vivant, hors des sentiers battus !
En fait Mi Hyun est mon deuxième prénom, qui était avant mon adoption mon premier et seul prénom. Il veut dire beauté et intelligence en coréen. Tout un programme, qui met juste un peu la pression. (rires)
Avant l’écriture, vous faisiez quoi ?
LMH : J’ai essayé de ne rien faire d’autre, aussi ai-je eu mille jobs. Mon C. V. fait presque 3 pages. J’ai été 16 ans remplaçante au Département de l’Instruction Publique, dans toutes les filières possibles. J’ai enseigné de l’alphabétisation à l’art de la narration dans l’œuvre de Proust. J’ai aussi été critique culinaire, agente musicale, vendeuse de thé, correctrice de traductions, etc.
Il me semble avoir lu quelque part que c’est un peu Jean-Christophe Grangé, cet auteur dont j’ai avalé tous les romans (pensez-vous pouvoir lui demander une interview pour moi ?;-) Votre bonne étoile pour votre roman « Le beau monde » paru chez Albin Michel ? Vous nous racontez ?
LMH : Oui, c’est Jean-Christophe qui a fait lire mon recueil de nouvelles, « Les Velléitaires », à son ami et éditeur Richard Ducousset, le directeur éditorial d’Albin Michel. On s’était rencontré lors de la soirée, bien arrosée, des auteurs du salon du livre de Genève. Comme je n’avais plus mes neurones très alignés, au lieu de répondre à la question de Jean-Christophe sur mon travail, je lui ai offert mon ouvrage, qu’il a adoré puis transmis.
Jean Christophe aime peu se détourner de l’écriture sauf pour ses enfants, mais j’essayerai de plaider en votre faveur.
Petite fille, rêviez-vous de devenir écrivain ou bien vos rêves vous portaient-ils ailleurs ?
LMH : Je me souviens avoir répondu « écrivain », alors que j’étais toute petite, quand on nous avait demandé en classe ce que nous voulions devenir. Je ne savais pas exactement ce que ça représentait, mais ça me semblait être quelque chose qui impressionnait les adultes. Ensuite, je n’ai jamais eu envie d’avoir un quelconque autre métier jusqu’au moment où je me suis autorisée à devenir auteure.
Racontez-nous votre façon d’écrire, le lieu, le temps qui passe avec vous au-dessus de votre cahier (de votre ordi ?), la manière dont vous vous organisez pour avancer dans le texte, etc. (bref, donnez-nous la formule pour écrire un bon bouquin qu’Albin Michel appréciera !)
LMH : Je ne peux pas donner de recette car chaque livre est comme une énigme. Il recèle son propre mystère qu’il faut tenter de percer. Il s’agit de trouver une solution intelligente et élégante, propre à chaque ouvrage. C’est très excitant et stressant aussi. Rien n’est garanti. Je ne peux pas parler pour les autres auteurs, mais je peux décrire comment je procède globalement. J’écris d’abord l’histoire, en ayant en tête le point de chute, d’un jet, comme un ruban que je déroule. Ensuite, je vérifie si le dispositif narratif fonctionne, si la structure est bonne, puis je relis tout le texte chaque fois selon un critère différent : vraisemblance, subtilité, diversité des types d’émotions, syntaxe, répétitions, ponctuation, etc. Je travaille sur mon ordinateur. Je ne crois vraiment pas qu’il y ait de recette pour écrire un bon roman, il y a des exigences, des préférences, un certain sérieux, quantité d’autres critères, mais, au final, ce sont les lecteurs qui décident.
Parlons de votre roman « Le beau monde ». Comment et pourquoi est-il né ? Qu’est ce qui a fait que c’est cette histoire-là et pas une autre que vous avez écrite pour votre maison d’édition ?
LMH : L’éditeur très enthousiasmé par mes nouvelles « Les Velléitaires », a trouvé que ce serait intéressant que j’écrive un roman polyphonique. Comme ça ne me passionnait pas de voir évoluer une héroïne d’un point A à un point B, j’ai pensé à une assemblée qui se raconterait des histoires comme dans le « Décaméron » de Boccace, les « Canterbury tales » ou « l’Heptaméron » de Marguerite de Navarre. Ainsi le lecteur n’aurait pas une vision précise, factuelle, objective de l’héroïne. J’aimais aussi l’idée d’un huis clos sur 12 heures, de 3h de l’après-midi à 3h du matin.
Comment vit-on à Genève ? Il y fait froid ? Qu’elles sont vos activités là-bas, hormis l’écriture et ses à‑côtés ?
LMH : Ce qu’il y a de mieux à Genève, c’est son multiculturalisme. C’est une ville très cosmopolite malgré sa taille réduite. Elle est très culturelle dans les deux sens du terme. Il y a quantité d’étrangers qui apportent leur culture et il y a une abondance de propositions dans les domaines de la musique, de la danse et des arts plastiques. La qualité de vie y est très importante. Contrairement aux grandes villes, on peut faire quantité d’activités par demi-journée, car les distances sont très réduites. Cependant l’hiver est long et souvent rigoureux.
J’adore écouter France Culture, regarder des DVD de films d’auteur, aller danser sur de la musique électronique et dîner au restaurant avec des amis.
Rencontrer votre public, affronter le monde, voir le beau monde, pour la sortie de votre livre, ça vous fait quoi ?
LMH : C’est exaltant, émouvant et très épuisant. On choisit d’écrire pour rédiger tranquillement en pyjama dans sa cuisine et avoir le temps de formuler les choses de façon à peu près satisfaisante puis on se retrouve sur le gril face à un public. Il faut surmonter sa timidité et oublier son perfectionnisme.
De tous les endroits sur terre que vous connaissez, lequel est votre préféré ?
LMH : J’adore quantité d’endroits. Ce qui compte pour moi, c’est qu’il sonne juste selon mes critères du moment et que je m’y trouve seule ou en bonne compagnie. En vérité, c’est paradoxal, je rêve à la fois de m’installer à Paris et de travailler dans une cellule comme dans « Le Christ s’est arrêté à Eboli » que je n’ai d’ailleurs pas encore trouvée.
Pauvre Louise, héroïne de votre roman ! Héroïne qu’on ne connaît que par des ouï-dire parfois très nauséabonds ! Envisagez-vous un autre roman sur Louise, un livre dans lequel Louise nous raconterait qui elle est et aurait ainsi un droit de réponse, nous livrant dans le détail ses rencontres avec ces uns et ces autres qui la malmènent tant dans « Le beau monde » ?
LMH : Non, le charme de mon roman est que chaque lecteur a son propre point de vue sur Louise. Il la perçoit très différemment selon qu’il s’identifie à l’un ou à l’autre des personnages qui témoignent. Le récit de la principale intéressée donnerait un point de vue que l’on aurait tendance à privilégier, que l’on pourrait croire ou non, mais qui réduirait l’aspect polyphonique. J’aime bien que le lecteur doute et qu’il conserve sa part de liberté.
En avançant dans votre roman, j’ai pensé – au fur à mesure des témoignages à charge – que Louise devait être une sacrée garce foldingue, hautement névrosée, imbuvable pour de vrai. Puis je me suis dit que si l’on demandait qui je suis aux gens que j’ai croisés dans ma vie, il y aurait forcément à boire et à manger. Cela dit, dans le cas de Louise, les regards sont tout de même globalement tous négatifs. Soit elle n’a rencontré que des gros cons, soit elle n’est vraiment pas sympathique ! Savez-vous vous-même, à l’heure actuelle, qui est vraiment Louise ?
LMH : Je pense qu’on ne sait pas qui est Louise, on sait seulement comment elle est perçue, donc on en apprend davantage sur les personnages qui portent un regard sur elle et qui témoignent, sur leurs prétentions, leurs projections, que sur l’héroïne du « Beau monde ». En vérité, c’est la foule et ses travers le protagoniste de mon roman.
Il y a une rythmique très intéressante dans votre façon d’écrire. Des phrases longues avec presque toujours la même monture, puis des phrases très courtes. Était-ce votre rythme intérieur au moment où vous écriviez ce texte ou y avait-il une volonté préalable d’utiliser tout au long du texte cette sorte de mélodie des mots ?
LMH : Ce n’est pas conscient, mais c’est ce qui me semble juste quand je relis mon texte. J’enregistre régulièrement mon travail au dictaphone puis le réécoute pour le corriger. Ce qui sonne mal ou factice, je le transforme ou l’élimine. Je lis aussi l’intégralité des textes à des amis, ce qui me permet de vérifier si la musicalité de mon roman me plaît. Vous avez raison, je suis très attentive au style, à la langue, au rythme de mon ouvrage, plus même qu’à son contenu.
Pour les amoureux de la langue, votre roman est un havre de plaisir. Que de beaux mots pour dire « Le beau monde » … Vous avez fait des études littéraires ?
LMH : Merci beaucoup ! Oui, j’ai étudié la littérature française, l’histoire de l’art et le latin. Pour mon mémoire de maîtrise, j’ai travaillé sur la langue dans les utopies des pré-lumières, de la fin du XVIIe. Cela explique peut-être la présence d’une langue un peu classique dans certains de mes ouvrages. J’ai erré près de 10 ans en faculté des Lettres. J’ai même fait un saut à la Sorbonne pour commencer un DEA que j’ai laissé tomber pour du clubbing et pour écrire de la fiction.
Votre connaissance des us et coutumes de la bonne société, d’où vient-elle ? Perso, je ne sais même pas encore, à cinquante ans, de quel côté de l’assiette il faut mettre sa fourchette.
LMH : J’adore les codes, les langages. J’aime comprendre les règles, puis y déroger selon mes envies. J’ai lu plusieurs manuels de savoir-vivre pour m’informer de ce qu’il faut faire puis j’ai choisi parmi les usages ce qui me plaisait. J’aime faire des entorses conscientes aux régimes. Mais on peut vivre très bien en les ignorant.
À la fin du livre, vous remerciez votre famille, vous voulez nous parler d’eux ?
LMH : J’en ai beaucoup parlé dans mon deuxième ouvrage, mon autofiction, « Polaroïds ». Je parle peu de ma vie privée en public. Je dirais que nous sommes tous très différents, mais que nous avons trouvé un moyen de vivre en bonne harmonie.
Pas facile tous les jours, la vie d’écrivain ?
LMH : Je pourrais écrire dix volumes sur les splendeurs et misères de la vie des écrivains. Il faut être très persévérant pour cultiver son talent puis pour partager le fruit de son travail. Si l’on ne sent pas que c’est inéluctable, on ne le fait pas, c’est trop de travail pour une reconnaissance difficile et une rémunération quasiment inexistante — entre 5 et 10% du prix d’un livre, soit entre 1 et 2 euros par ouvrage — quand on sait qu’on dépasse difficilement les 2000 ventes sur 5 ans…
À quel âge avez-vous quitté Séoul ? Votre français littéraire est tellement subtil, maîtrisé, cultivé, précieux, parfait, que vous l’utilisez finalement tellement mieux que la plupart d’entre nous.
LMH : Je suis arrivée en Suisse à 17 mois. On peut dire que le français est ma langue maternelle, mais je pense surtout que mon intégration est passée par la langue, en tout cas ma sensibilité est profondément langagière.
Votre prochain roman, vous en savez déjà quelque chose ?
LMH : J’aimerais, contrairement à ce qui caractérise « Le beau monde », que l’héroïne soit très présente. Il y sera question de condition féminine, de différentes formes d’enfermement.
Vos projets à court terme ?
LMH : J’ai plusieurs projets avec des artistes, une novela qui devrait paraître au printemps prochain et quelques textes de commande à rédiger. Je dois aussi essayer de trouver le moyen de travailler au maximum sur mes projets littéraires et de me laisser le moins possible distraire par mes jobs alimentaires.
Êtes-vous féministe ?
LMH : Oui, je trouve qu’il y a encore un immense travail à effectuer pour que les femmes jouissent des mêmes droits que les hommes sous toutes les latitudes, y compris chez nous, où les discriminations sont souvent plus sournoises.
Qu’est ce donc que Soho Grand Hôtel, que j’ai croisé chez le dentiste, dans les pages Culture d’un Paris Match ?
LMH : Il s’agit d’une collaboration avec le photographe Dominique Derisbourg. J’ai choisi une de ses images et je m’en suis inspirée pour écrire une nouvelle (une des rares dont je sois assez fière) pour accompagner une photographie dans un joli coffret. Il y 99 exemplaires numérotés de la boîte et 9 en version de luxe avec une partie manuscrite. Étonnamment, cette dernière version a eu beaucoup de succès.
Chère Laure, je vous verrais bien avec un Renaudot, voire même un Goncourt dans les années à venir et j’espère vivre assez longtemps pour me sustenter de tous vos écrits à venir. Êtes-vous consciente de la qualité de votre écriture ou doutez-vous souvent ?
LMH : Je doute souvent et même si ce doute est très douloureux, il est le moteur qui me pousse à progresser, à relire inlassablement mes textes. Je relis infiniment plus que j’écris.
Merci, chère Aurélie, c’est adorable de votre part. Si vos vœux ou prédictions se réalisent, nous les fêterons ensemble.
Bibliographie
2010 : Les Velléitaires, Éditions Luce Wilquin
2011 : Polaroïds, Éditions Luce Wilquin, Prix Ève de l’Académie Romande
2014 : On ne dit pas « je » !, BSN Press
2016 : Après la pluie, le beau temps, Didier
2017 : S’escrimer à l’aimer, BSN Press
2018 : Le beau monde, Albin Michel
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