« je suis plutôt quelqu’un de bienveillant, partant du principe que vivre est une chose difficile qui mérite encouragements et indulgence. »
Aurélie Gaillot :
C’est où, la photo ?
Laurent Pinori:
Au musée du Prado, à Madrid, où je suis retourné récemment pour revoir les peintures de Velázquez et de Goya. Les Ménines c’est ma Joconde, et les peintures noires de Goya font partie des tableaux très noirs, comme ceux de Francis Bacon ou d’Edvard Munch, que j’aime beaucoup. Dans les artistes contemporains, pas grand chose retient mon attention, j’aime bien Pierre Soulages et son noir-lumière. Ce pourrait être une définition de ce que je tente de faire dans mes romans.
La lumière du noir – Pierre Soulages
Laurent, parlez-nous de vos respirations face à l’immensité de la mer du Nord…
Le nord me fascine de plus en plus. La mer m’a toujours attiré. Le Marseillais que je suis n’a longtemps juré que par le bassin méditerranéen, sa lumière. Le berceau de notre civilisation. Peut-être que mon écœurement de ce qu’on nomme civilisation aujourd’hui explique mon début de désaffection pour la Méditerranée. Désaffection très légère, en réalité j’ai besoin d’y retourner régulièrement. Mais alors que je réponds à vos questions je me tiens sur le rivage de la mer du Nord, à la recherche d’une immensité que je ne ressens plus ailleurs.
Ostende, 8 Aout — Face à la mer
« L’auteur d’un livre désespéré ne peut pas être aussi désespéré que son livre puisqu’il a eu la force de l’écrire. » Laurent Pinori
Votre écœurement est lisible très distinctement dans vos écrits. Je ne voulais pas forcément aborder ce sujet car je sais que les auteurs n’apprécient pas qu’on fasse systématiquement un amalgame de ce qu’ils sont réellement dans la vie et de ce qu’ils mettent dans leurs roman.
Vous êtes relativement jeune, pourquoi, comment êtes-vous déjà écœuré ?
La société s’invite dans mes livres, du moins la représentation que je m’en fais : un environnement féroce et absurde sous couvert de civilisation. De là résulte l’impression que vous avez ressentie. Mais l’écœurement que j’éprouve à l’égard la société ne m’a pas encore complètement contaminé. Le livre est censé en apporter la preuve : l’auteur d’un livre désespéré ne peut pas être aussi désespéré que son livre puisqu’il a eu la force de l’écrire.
Comment lisez-vous ?
Dans l’attitude d’une jeune femme hyper séduisante, habituée à être courtisée par les hommes et à les rabrouer. Je suis sans pitié à l’abord d’un livre, pire qu’un éditeur devant ses piles de manuscrits. Mais quand j’aime un livre, je n’ai aucune réserve. Ni la personnalité de l’auteur, ni son idéologie ne sauraient modérer mon enthousiasme.
http://lesfillesduloir.esy.es/les10ans/laurent-pinori/
Êtes-vous sans pitié ?
Je n’ai ni le temps ni le désir de lire plus d’une trentaine de livres par an, et je considère qu’un livre mérite d’être lu s’il m’apporte quelque chose que je ne trouverai pas à travers d’autres pratiques. Je suis donc très sélectif. Sinon, dans l’ensemble, je suis plutôt quelqu’un de bienveillant, partant du principe que vivre est une chose difficile qui mérite encouragements et indulgence.
Quelques titres phare de vos récentes lectures ?
Dans les six derniers mois, j’ai lu et apprécié : Rose minuit de Marina de Van, L’oeil du léopard de Henning Mankell, Demain je ne pointe pas de Kemi Outkma.
D’où elle vous vient, votre bienveillance ? De vos propres failles ? D’où viennent vos failles ?
De mes failles, certainement un petit peu. Il faut avoir soi-même connu des difficultés pour être réceptif à celles des autres. Ma bienveillance est surtout une réaction à notre société “Marche ou crève” ou plutôt “Galope ou crève”. Inutile d’en remettre une couche. La bienveillance est une résistance.
Votre écriture est … Ouah ! Est-ce que vous êtes tombé dedans petit ou est-ce un travail, une volonté de perfection ?
Merci ! Mon écriture est assez rudimentaire. Des phrases courtes, peu de figures de style, un vocabulaire assez basique. Je me fixe deux contraintes quand j’écris un roman. Rester connecté à la “vision” initiale qui a déclenché l’envie d’écrire le livre. Ce que j’appelle vision c’est un élément très dense qui revient de manière récurrente dans mon esprit. Tout ce que j’écris sera un développement de cette vision. La seconde contrainte, c’est de me mettre à écrire uniquement si je suis d’humeur à jouer avec les mots et les idées, condition qui me semble indispensable à l’émergence d’un style. Je suis donc très exigeant sur la forme du texte, quand bien même cette exigence ne consiste pas à peaufiner de belles phrases. Plusieurs années me sont nécessaires pour écrire un roman même très court.
Exactement ce que l’on ressent à vous lire… Textes dénués de fioritures, une ligne qui ne déroge pas, qui ne va jamais à la facilité. Le « glauque », tout comme l’humour, est difficile à manier. Vous avez la juste mesure.
Et l’amour dans tout ça, Laurent Pinori (ça, c’est pour mes midinettes de copines !) ?
Je suis marié et j’ai deux enfants en bas âge.
(les filles, vous pouvez aller vous faire cuire un œuf…)
Vous êtes un sacré écrivain. Je n’ai pas dit un auteur, vous voyez, je vous sacre direct au rang des écrivains. N’est-ce pas frustrant d’être lu modérément ? Je n’ai aucune idée des ventes que vous faites, je sais que le grand patron des éditions Numeriklivres croit très fort en vous mais je sais aussi que vous n’apparaissez pas dans les pages littérature de « Elle » et que vous n’avez pas encore été invité à « La grande librairie ». Vous en pensez quoi, vous, de cette habitude qu’ont les gens de foncer tout droit lire les best-sellers des grandes maisons alors que dans les “petites” maisons d’édition, des pépites dorment… ?
J’ai eu la chance que mon premier livre soit publié par une maison d’édition prestigieuse. De très bons manuscrits, bien meilleurs que ceux qui sont publiés, n’ont pas cette faveur. Fayard n’a pas misé sur le livre. Les ventes ont été faibles. Cela m’était égal car on m’avait dit que les deux suivants seraient publiés, qu’il y avait une politique d’auteur. Las, quand je me suis pointé avec L’origine du monde sous le bras, on m’a dit que le roman était bon mais que ce serait encore plus un flop que le premier. Bien entendu, j’en ai conçu une légère déception, mais, au fond, peu m’importait puisque cela ne m’empêchait pas de continuer à écrire avec le même entrain. Finalement, mes romans suivants ont paru aux éditions NL. Je remercie au passage Jean-François Gayrard de publier de la littérature et d’y consacrer une part de son énergie que d’aucuns emploient exclusivement à la publication de fantasy, de romance, et d’érotisme, bref ce que réclame le gros du lectorat sur support numérique. Après avoir publié quatre romans, j’ai enfin admis que le public de livres tels que les miens (si un tel public existe ou a jamais existé) n’est absolument pas au courant de leur existence. J’ai enfin admis que l’édition est avant tout une affaire de marketing, de guerre de position, et que l’intérêt ou l’originalité du livre ne sont qu’un facteur négligeable, voire pénalisant. Quant à ce qui est de bénéficier d’une mise en lumière par les médias (Elle, La grande librairie et les autres), il n’y a pas de surprise, on connaît la règle dès le départ : si vous êtes estampillé NL, le physio ne vous laisse pas entrer. Aucune frustration malgré tout. Je suis libre de faire les livres que j’ai envie de faire. Si un jour ça décolle, tant mieux, sinon il me restera la satisfaction d’avoir fait une longue randonnée en solitaire (ponctuée de quelques rencontres quand même) sur un chemin étrange, quand bien même au bout du chemin il n’y a rien. L’important ce n’est pas la destination, c’est le voyage.
Vos réponses sont comme vos textes. Droites. Ca m’en coupe le sifflet, du coup. En fait, vous êtes très intrigant. D’où vous vient cette droiture ? Mais qui êtes-vous, Laurent Pinori ?
Dans mes romans, je cherche la clarté. La ligne claire, comme Hergé. C’est un parti pris esthétique. Dans mon attitude, je suis assez cash, comme disent les « djeuns ». Je cherche la vérité avant mon intérêt, sans doute en raison d’une atrophie de mon instinct de survie. Je suis une cash machine. Cependant, ma droiture a ses limites puisqu’il m’est impossible de répondre à votre question sans l’abréger d’une pirouette.
“Pour vivre dans ce monde sans littérature, j’ai dû faire l’hypothèse que je n’existais pas. Toi aussi, d’ailleurs. Alors seulement tu as réussi à écrire des versets tétaniques au lectorat asymptotiquement nul. De mon côté, je me recentrai sur la lecture in extenso des inscriptions sur les paquets de biscuits que je consomme avec du café soluble. Plaisir désintéressé d’aristocrate de la dèche. La mort est l’onde primitive ou l’écrivain code son roman. Les vagues s’écrasent sur la côte. Ce sont des phrases écrites par la mort et qui forment le plus beau livre qui soit. Il arrive qu’un roman fasse de l’ombre à l’océan s’il propose un discours qui donne un sens à une expérience universellement vécue. Cela devient un best-seller ou même un classique. Toi, l’écrivaillon, tu me touches car tu donnes un sens à mon expérience du renoncement, ce réflexe de survie que j’ai découvert très tôt et qui a fini par devenir mon principal trait de caractère. Malheureusement pour tes affaires, cette attitude est très minoritaire – Darwin l’a magistralement démontré. Mon pauvre écrivaillon, je ne sais dire ce que tu vaux pour l’écriture, mais en marketing, tu mérites un zéro pointé. Au point que tu te demandes pourquoi ton éditeur continue à te publier.”
Cap sur la joie. Laurent Pinori
Êtes-vous surdoué ou un truc dans le genre ? Vous deviez cartonner à l’école, non ?
J’ai aimé les maths et c’était réciproque. En France, c’est l’assurance de bénéficier d’une scolarité paisible et heureuse. Bon élève, c’est vrai. Surdoué, absolument pas.
La synesthésie, c’est quoi ?
La synesthésie est un phénomène de correspondance dans l’esprit entre des domaines n’ayant a priori rien en commun. Dans Cap sur la joie, un des personnages est synesthète : chaque partie du corps des femmes est renvoyée à des mots (autres que ceux qui désignent la partie en question), et inversement. Si bien, par exemple, que lorsqu’il écoute une émission de radio sur un sujet extrêmement sérieux, il est probable que c’est plutôt un film pornographique qui va défiler dans sa tête. C’est un clin d’œil à la critique que l’on me fait souvent à propos de la pornographie de mes textes. Par cette mise en abyme, je fais le calcul que les universitaires qui étudieront mon œuvre émettront l’hypothèse que je dois être synesthète, interprétation franchement flatteuse pour moi. Plus sérieusement, depuis que mon premier livre a paru et qu’on me reproche ma pornographie, je m’interroge sur ma motivation. J’en suis arrivé à la conclusion que j’étais un peu comme Diogène qui vivait dans un tonneau et qui apostrophait les passants, les insultait et pouvait aller jusqu’à se masturber devant eux… Pourquoi ? Pour les faire réagir, pour dénoncer — déjà — un monde corrompu par sa sophistication et sa duplicité. Je suis certainement cynique au sens où l’était Diogène, et non pas au sens où on l’entend désormais et qui n’a plus rien à voir : le cynisme employé pour gagner énormément de fric en exploitant la bêtise et l’inertie des autres, ou le cynisme de ceux qui salissent la vie en ricanant dans le but de trouver une excuse à leur médiocrité et à leur lâcheté, et de rabaisser le monde à leur niveau. Rien ne m’est plus étranger que ce cynisme-là.
Dans votre vie de tous les jours, c’est quoi, pour vous, une bonne journée ?
C’est une journée où je me suis marré au moins une fois. Et c’est vraiment une très bonne journée si j’ai réussi à entrapercevoir toute la grandeur de la vie par-delà le maillage serré des contraintes quotidiennes.
Ecrire glauque, c’est aussi difficile – me semble-t-il – que d’écrire de manière humoristique. Tout doit être ficelé au mot près sinon ça devient vite casse-pieds pour le lecteur.
La beauté de vos écrits tient au fait qu’il n’y a jamais ce trop-là. Vous êtes exigeant, pesez très strictement votre flux mais, avez-vous un primo lecteur et si oui, lui arrive-t-il de critiquer vos premiers jets?
Avant d’envoyer un manuscrit à un éditeur, je le fais lire à deux ou trois amis pour avoir un avis global, savoir si l’ensemble tient la route. Dès mon premier texte, je me suis aperçu que les avis divergeaient : un tel avait adoré tel personnage qu’un autre avait trouvé peu réaliste. J’écoute donc mes amis avec attention, gratitude, et des remerciements sincères mais je ne change pas mon texte pour autant.
Est-ce simple, lorsqu’on a la chance d’avoir vécu dans une région lumineuse et sublime (le Sud de la France), quand on aime l’immensité de la mer du Nord, de vivre à Paris… Quand je pense à Paris je pense pollution, grisaille, vacarme, foule, dépression… Bref, l’enfer, vu de ma fenêtre (ouverte sur le prodigieux silence d’une forêt immense et incroyablement verte) ! C’est par obligation, pour votre travail, que vous vivez là-bas ou est-ce un choix ?
Je suis venu Paris à l’âge de vingt ans pour terminer mes études. Je suis tombé amoureux des rues, des cafés, des visages, des cinémas, des librairies… Paris s’est cristallisé en moi, et, de même que l’on est aveugle aux défauts de sa fiancée, je suis immunisé contre les nuisances que vous citez à juste titre. Sauf contre le trafic automobile qui a atteint un niveau délirant au point de gâcher le plaisir de flâner. La lumière du sud me manque parfois. La mer aussi. Alors je monte dans un train, dans un avion, ou dans ma voiture, et je m’en vais.
Votre cadre pour écrire… Genre cosy ou spartiate ?
J’ai beaucoup écrit dans les cafés, les hôtels, les TGV. Chez moi, le cadre a varié au gré de la croissance du foyer familial (voir réponse à la question “carnet rose”). Actuellement, je dispose d’un petit bureau à côté de mon lit, d’un stylo et de feuilles de papier volantes, c’est plutôt spartiate.
C’est comment, de vivre avec Laurent Pinori en phase d’écriture ?
Je suis mal placé pour répondre à cette question. J’imagine que c’est à peu près la même chose que j’écrive ou non, ça doit donner l’impression d’être à côté de quelqu’un qui est un peu ailleurs en permanence.
Êtes-vous en train d’écrire votre prochain roman ?
Non.
L’envie d’écrire ou l’idée d’écrire se présente comment et quand, en général ?
Des idées de nouvelles, il s’en présente souvent. C’est pourtant rare que j’en écrive, je n’en ressens pas la nécessité. Si plus de revues en publiaient, ou les suppléments des journaux comme autrefois, peut-être que cela m’inciterait à me mettre au travail. Pour les romans, une bonne part de la difficulté consiste à faire le tri pour déterminer quelle idée j’aurai vraiment envie d’approfondir. Je ne me préoccupe pas du tout de savoir si ce sera ou non publié, c’est un choix personnel qui engage mon cadre de vie pour plusieurs années, un peu comme de choisir sa future maison.
Si vous étiez éditeur, quelles seraient vos indispensables qualités ?
Le monde des lettres est hypocrite et faux, je n’y tiendrais pas longtemps. Être éditeur indépendant, hors du circuit traditionnel, est devenu possible grâce aux nouvelles technologies. Créer une collection de littérature dans ces conditions me passionnerait, j’en suis convaincu, mais c’est un travail à temps plein… Par ailleurs, je ne pense pas être très doué pour l’aspect promotionnel, hors c’est un aspect crucial face à l’avalanche de publications, que ce soit par des éditeurs ou en auto-publication.
Ca me fait super plaisir, d’apprendre que vous piquez les Flamby de votre fiston… Ca vous rend d’un coup plus… Enfin moins… C’est cool quoi !
(Laurent Pinori n’est pas une unité centrale, je répète, Laurent Pinori n’est pas une unité centrale)
Bon là je ne sais pas trop comment interpréter cette remarque. Si vous voulez dire que je m’économise sur le terrain des passions, que je suis plutôt froid et cérébral, ce n’est pas faux. En revanche, je me sens peu en rapport avec l’unité centrale qui exécute sans discernement les tâches pour lesquelles elle a été programmée. L’unité centrale est le rêve de notre société-usine : des hommes-machines assignés à des fonctions de production de biens ou de services et dont le temps libre consiste à consommer des loisirs eux-mêmes englobés dans l’activité de production. Je suis plutôt du genre à me cabrer et à remettre en question ce que l’on nous présente comme coulant de source. “Humain, trop humain” plutôt que machine.
Je fais bien sur allusion à une certaine “froideur” qui émane de vous mais, en comparaison, il s’agit alors d’une unité centrale dotée d’une puissante technologie qui, via des outils tel internet, permet d’en faire une source d’analyses qui apparaît comme inépuisable. Bien entendu, un ordinateur, on le débranche et il n’est plus rien. Votre source d’énergie à vous, pour vivre, pour survivre dans un monde tel que vous le décrivez, tel que vous le percevez, c’est quoi ?
Je n’ai pas de moteur. Je suis un planeur, je m’applique à prolonger le vol le plus longtemps possible. Si je suis au sol, je dois attendre une force extérieure pour me tracter. Un livre, un film, une conversation, un voyage, il n’y a pas de règle, si ce n’est d’être curieux et à l’affût.
Dans un pays imaginaire, qui ressemble à s’y méprendre à l’Amérique du Sud, un enfant, Pedro, naît avec un glaïeul sur le pubis. Pendant 3 ans, le Docteur Montoyas va enquêter sur le sujet. Malgré de nombreuses lectures, des correspondances avec les plus éminents médecins du pays et les biologistes les plus renommés, Montoyas n’arrive toujours pas à expliquer scientifiquement comment une fleur avec des racines, identique en tout point à celles qui poussent en terre, prospère sur un milieu aussi peu propice que la chair d’un garçon et, qui plus est, en se passant de lumière. Le temps passe. Plus l’enfant grandit, conscient de sa malformation, plus il se coupe du monde et se promet une destinée exceptionnelle, jusqu’au jour où son génome est décodé et exploité. Et si Pedro n’était pas le seul humain-végétal ? À la limite du roman d’anticipation et de la fable contemporaine, l’Homme-glaïeul est une belle, profonde et originale réflexion sur l’évolution de l’espèce humaine.
Laurent Pinori, L’homme glaïeul. Editions Numeriklivres
Comment est né ce roman ?
D’un défi consistant à reprendre de mon premier roman (non publié et définitivement remisé dans un tiroir) un personnage secondaire qui souffrait d’une anomalie génitale pour en faire le personnage principal d’un autre roman. De mon goût pour les conteurs sud-américains (Vargas Llosa, García Márquez) qui m’a donné envie de situer l’histoire en Amérique du Sud. D’un voyage longtemps rêvé et finalement réalisé en 2008 à Buenos Aires qui a servi de modèle à la ville de Sabarès. Tel que je l’avais imaginé, le roman devait être une fable autour d’un garçon un peu spécial puisque souffrant d’une malformation inédite et très mal placée. Je ne sais comment sa malformation, que je n’avais pas précisée au début de l’écriture, s’est matérialisée en une fleur, mais, à partir de là, le thème du transhumanisme s’est invité dans le récit. Le transhumanisme vise à améliorer, par des modifications génétiques ou technologiques, les performances des êtres humains et leur espérance de vie, avec, en ligne de mire, le fantasme d’une vie éternelle. Or, un arbre peut vivre plusieurs milliers d’années. Je me suis dit que c’était une piste tout à fait crédible, d’autant que cela ne ressemble en rien aux axes de recherche des sociétés comme Google qui travaillent d’arrache-pied sur ce sujet. C’est ainsi que la fable a pris une tournure d’anticipation. Cette nouvelle tournure, inattendue, me satisfaisait intellectuellement, car elle réalisait le complément de mon premier roman publié Option Léthé qui prévoit la généralisation du suicide assisté, c’est-à-dire le raccourcissement de la vie. L’homme-glaïeul, au contraire, prédit le rallongement de la vie, au prix de la disparition de l’humain remplacé par un post-humain. Apparemment opposées, ces deux prédictions sont en réalité les deux faces d’une même chose : la pulsion de mort telle que l’a définie notre cher Freud.
L’élection présidentielle de 2017, les attentats, l’incendie qui a ravagé plus de 2000 hectares de garrigue vers chez vous, les Jeux Olympiques… L’actualité de notre pays, vous en pensez quoi ?
Je suis l’actualité de très très loin. Je la range dans la catégorie des divertissements. Le seul intérêt que je lui trouve c’est de fournir des sujets de discussion et, par conséquent, de la matière première pour socialiser. Pour le reste on connaît l’histoire, celle d’un capitalisme écervelé qui concourt à notre perte : augmentation phénoménale des inégalités, marchandisation de tout, fuite en avant sacralisée sous le terme de croissance, désastre écologique, le fric pour seule valeur, etc. Je préfère m’intéresser aux travaux de ceux et celles qui essaient d’imaginer des alternatives au cauchemar qui se prépare (qui a déjà commencé en fait), c’est franchement plus stimulant. Les JT sont de la connerie à l’état pur, il m’arrive de trouver des choses intéressantes dans certains médias, comme Libé par exemple, mais le gros de l’information susceptible de m’intéresser je le glane via Facebook et des liens vers des sites qui n’appartiennent pas au tronc commun de l’information sélectionnée par les médias.
Si vous pouviez changer une seule chose, ce serait quoi ?
Je dissuade Eve de croquer dans la pomme en lui offrant un assortiment de macarons Pierre Hermé. Puis je vais piquer une tête dans la piscine de l’Eden Resort, avec formule all inclusive pour tout le monde. L’Histoire ne commence pas, c’est mieux ainsi.
Mélancolie, d’Edvard Munch
.….…. Pour suivre l’actualité de Laurent Pinori :
.….… A propos de l’éditeur Jean-François Gayrard :
http://owni.fr/author/jeanfrancoisgayrard/